• L'encre rouge de Blandine Merle

    Publié dans La Lettre d’Echanges n°92 - mi septembre 2012
    Par Vincent Rouillon

    Vincent Rouillon : L'encre rouge de Blandine Merle

    Un recueil de poésie s’ouvre d’habitude avec colère car, la déception étant à la mesure de l’attente de mieux voir et comprendre grâce à lui le monde, on en veut par avance à son auteur, bien rarement à la hauteur des espérances. Pour lire Par obole il faut adopter une disposition autre, du moins si on est un lecteur et non une lectrice. On n’y trouvera pas, en effet, ces révélations d’ombres et de lumières qui réhaussent ce qui est terne d’incompréhension ou d’inattention mais des réalités qui jusqu’à présent n’existaient pas dans le partage symbolique public. En l’occurrence certaines douleurs que connaissent surtout les femmes et que de rares poétesses, donc Blandine Merle (mais aussi Maram al-Masri, cf. la Lettre d’Echanges n°79, ou la poétesse Farahnaz cf. la Lettre d’Echanges n°74) savent verser dans la sensibilité collective, l’augmentant dès lors de manière vertigineuse – comment osait-on avant ne pas savoir ? comment pouvait-on alors prétendre comprendre ?

    l’encre ainsi se teinte en rouge sur les cartons

    lorsqu’il est écrit fragile

    L’apport de la poétesse est indispensable tant il est difficile de soulever la chape masculine qui définit jusqu’aux douleurs qui ont le droit d’exister. Ce dont elle parle est en effet « rouge » et celles dont elle parle sont « fragiles ».

    Flambée sur flambée :

    les coups de reins ouvrent la trappe

    avec une force d’acier

    […]

    à terre dessine une tache –

    la même, sur la peau, marquée au fer brûlant

    la lame du couchant s’enfonce dans la nuit

    […]

    en un coup d’œil, l’étendue du viol –

    On dit que la poésie c’est ‘‘joli”. Non. Si elle l’est, c’est soit par une tromperie déniant « la mort pliée, jumelle éclair » de la vie, soit par une regrettable pudeur ou une étrange tactique consistant à tenter de masquer la laideur en espérant qu’elle nous oublie, soit encore, quand la poésie est révolte, pour en appeler à l’effacement de la douleur et à l’avènement d’un moins pire ou d’un meilleur.

    Au contraire, par « l’appariement en silence d’une feuille à une idée », la page poétique réalise le travail chirurgical, sanglant, de « couturer à soi le temps du purgatoire ». Une opération douloureuse, menée au service de tous, qui exige témérité et patience, intransigeance et générosité. Et, de la part des lecteurs, méfiance et colère, certes, mais aussi reconnaissance quand, comme en refermant Par obole, on s’en retrouve si densément augmenté.

    Par obole Par obole